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Mise à jour n° 2, octobre 2023 :
Malgré la publication de cet article, malgré le constat partagé par tous les référents de sites impactés par la mise en concurrence directe des sites par la collecte mise en place dans les mêmes quartiers, malgré les surcoûts financiers et un mauvais bilan GES engendrés par ce système, malgré le fait que les plateformes de traitement semblent avoir du mal à absorber les quantités de biodéchets acheminés, la Métropole poursuit son plan de déploiement de points d’apports volontaires, confortée il est vrai par un succès public (les habitant·es, peu informé·es sur le circuit de collecte et ses impacts utilisent volontiers les PAV, ce qui est plutôt rassurant sur le fait qu’un changement d’habitude est possible) et médiatique. Si nous ne nous faisons donc pas d’illusions sur la place laissée au compostage et lombricompostage sur place dans notre métropole sur le court terme, nous continuons à porter notre vision du traitement des biodéchets qui se doit d’être low-tech, social et réellement écologique. A la fois car d’autres territoires sont en jeu (avec la loi AGEC et l’obligation de proposer un système de valorisation à part des biodéchets, les collectivités doivent trouver leur chemin entre “sur place” et “à emporter”, prévention et traitement, soutien aux structures locales ou engagement auprès des multinationales), et aussi car, collectivement, nous aurons très certainement besoin de faire machine arrière plus vite que prévu pour nous adapter aux pénuries d’énergie, de ressources et de moyens financiers qui nous pendent au nez. C’est d’ailleurs pour cette raison que, malgré nos différends, nous nous retrouvons partenaire avec cette même métropole, dans le cadre d’un groupement avec une partie des acteurs du territoire défendant le compostage “in situ” (Compost’elles, Pistyles et La Jardinière partageuse), pour continuer à promouvoir le compostage sans transport et sans industrie, notamment le compostage autonome en établissement (dans les écoles et autres structures publiques), miettes du gâteau des biodéchets mais permettant tout de même de défendre de beaux projets. Et préparer malgré tout, dans notre thématique, ce futur soutenable.
Mise à jour octobre 2022 :
Cet article a été écrit en février 2022. A la demande de la Métropole, nous précisons qu’il n’y a pour le moment aucun biodéchet issu de cette collecte qui part en méthanisation. Dont acte. Pour le reste, nous maintenons notre argumentaire ; entre-temps, nous avons passé un été caniculaire sans arroser aucun de nos 110 vermicomposteurs collectifs, contrairement à la collecte (lavage de fûts) et au compostage industriel (arrosage des tas) ; le prix de l’énergie et des matières premières est aussi en train d’exploser, ce qui renforce nos convictions et notre confiance accrue envers les systèmes low-tech, raisonnables, résilients. Nous tendons une nouvelle fois la main à la Métropole pour les encourager à repenser le déploiement de cette collecte, surtout dans les communes les moins denses de notre territoire.
Cet article fait suite à une série de parutions dans la presse (Rue89 Lyon, Les Echos, Le Progrès) où nous apprenons, par la voie de la vice-présidente en charge de la gestion des déchets Isabelle Petiot ou celle du président Bruno Bernard lui-même, le déploiement massif de la collecte des biodéchets (les fameuses « bornes à compost », en test sur le 7ème arrondissement) et du traitement de ceux-ci par compostage industriel et méthanisation.
Ce mode de gestion, collecte + traitement industriel, s’il apporte une solution rapide aux grands Lyonnais pour gérer leurs biodéchets, a un certain nombre d’impacts négatifs en termes écologique et social. Pire, il risque de nous enfermer dans un fonctionnement contre-productif, figé pour une paire d’années, voire de décennies, au même titre que l’incinération, le recyclage du verre (et non la consigne) ou encore l’agriculture intensive, qui nous maintiennent, à cause d’investissements matériels et de choix organisationnels lourds, dans des systèmes dont nous peinons à sortir. Ce dernier parallèle n’est pas anodin tant compostage des biodéchets urbains et agriculture sont voués à être liés dans les prochaines années, pour le meilleur ou pour le pire.
Trois semaines de fonctionnement dans le 7ème arrondissement ont suffi pour passer dans le langage officiel d’« expérimentation » à « déploiement généralisé ». C’est trop peu pour juger les failles d’un projet de cette ampleur, surtout sans l’avis de la majorité des acteurs associatifs engagés sur le sujet de la réduction des déchets. De plus, ce fonctionnement semble en contradiction avec la politique affichée par la majorité EELV sur d’autres sujets : réduction des transports, objectif de neutralité carbone, biodiversité, dé-artificialisation des sols, volonté d’émancipation des multinationales, résilience. Cette décision impacte au passage nos métiers, nos structures (impliquées dans la gestion de proximité des biodéchets) et nos modèles, au profit d’une organisation et d’acteurs bien moins vertueux.
Voici donc un contre-argumentaire. Il est bien sûr « à charge », puisque les « bienfaits » du système collecte + valorisation industrielle sont développés par les élus et industriels dans les articles cités, sans contradictions. Les avantages sont d’ailleurs faciles à comprendre : rapidité, efficacité et acceptabilité par le public sur le court terme ; gestion facilitée pour les services car proche de celle des autres déchets. Le but n’est pas de charger bêtement la Métropole et sa gestion des déchets, avec qui nous travaillons en bonne intelligence sur d’autre sujets (valorisation des encombrants et projet Linux et populus), mais d’apporter des objections, dans le but de revenir sur une décision pas encore actée dont les tenants et aboutissants n’ont peut-être pas été bien évalués ni concertés avec les parties prenantes. Il s’agit aussi d’amener le débat sur le terrain national, tant ce modèle industriel, qui n’avait pas le vent en poupe jusqu’ici, est en train de prendre toute la place dans les grandes villes de France et même sur certains territoires semi-ruraux, profitant du « vent de panique » des collectivités qui doivent se mettre au tri des biodéchets avant 2023, comme le prévoit la directive européenne sur les déchets.
Enfin, pour bien nous faire comprendre : nous, Eisenia, avons toujours défendu le besoin de développer une solution à grande échelle pour valoriser les biodéchets de tou·tes les habitant·es de la métropole, bien avant que cela ne devienne une obligation légale ou sujet d’intérêt pour le public. Nous sommes donc les premier·es conscient·es de l’enjeu d’aller vite sur le sujet. Vite, mais bien.
Nous ne sommes même pas opposé·es à une collecte partielle des biodéchets ; bien que persuadé·es qu’il serait possible de fonctionner uniquement avec des sites « sur place », en utilisant friches, jardins, cours et caves ou encore en dé-bitumant certains espaces (hypothèse que nous avons défendu dans le plan B), nous sommes également conscient·es de la difficulté sur certaines zones très denses, et par conséquent favorables aussi par pragmatisme à la création d’un mix intelligent : des micro-plateformes de compostage (ou lombricompostage) alimentées par des points de collectes installés dans les centres trop denses, beaucoup de composteurs (ou lombricomposteurs) de quartier partout où cela est possible et des composteurs individuels distribués aux habitants en maison, mesure d’ailleurs en cours de réalisation. Cette formule équilibrée mais efficace permettrait de limiter la collecte et le traitement industriel au strict minimum.
Petit rappel pour comprendre la suite :
Le compostage est une technique (contrôlée par l’homme) de transformation de la matière organique. Il s’inspire plus ou moins du « cycle de la matière » en milieu naturel, où tout ce qui se dépose au sol (branches, feuilles, fruits, végétaux, animaux morts) se transforme en humus grâce aux actions combinées d’une multitude d’êtres vivants : bactéries, champignons, insectes, vers et compagnie. Pratiqué sous différentes formes, le compostage se fait au plus proche du cycle naturel (compostage de jardin, lombricompostage ou mieux encore : paillage à même le sol) mais aussi au plus éloigné (compostage industriel). D’autres formes de traitement existent, la méthanisation principalement, mais qui n’est le sujet du moment. Quoique… Une part des biodéchets collectés sur le territoire semble déjà partir en méthanisation et notre petit doigt nous dit que celle-ci va augmenter.
IMPACT SUR LES RESSOURCES
Composter, oui, gaspiller des ressources pour rien, non…
Le transport
Le transport est évidement l’un des gros points noirs du système collecte + compostage industriel. Créer un circuit supplémentaire de collecte des déchets en camion, est-ce bien cohérent pour une métropole qui essaye de réduire la place de la voiture en ville ? Pourquoi faire circuler 2 fois par semaine des camions dans toute la métropole, pour collecter le seul déchet valorisable sans transport, en pleine bataille pour imposer une ZFE nécessaire mais attaquée car injuste socialement ?
Notre vice-présidente aime à rappeler en interview, et elle a raison, que les biodéchets “sont composés à 60% d’eau” et qu’il est contre-productif de les incinérer. Les trimballer dans de beaux camions l’est tout autant : car oui l’eau pèse lourd et son transport dans toute la métropole est énergivore.
Les autres ressources dépensées
Aux pollutions et désagréments causés par le transport, ajoutons :
Les matériaux utilisés : le métal des bornes à compost fabriqué au Portugal ; le plastique issu de la vallée de la chimie pour les poubelles ; métal, béton et composants électriques utilisés pour faire tourner les usines à compost et bien sûr l’énergie fossile pour fabriquer tout ça. Et pour finir, même si c’est plus anecdotique, les bio-seaux distribués aux habitant·es pendant que restauration collective et agro-industrie du territoire jettent quotidiennement des seaux alimentaires totalement adaptés.
Les fluides liés au traitement industriel : électricité et eau utilisées par le procédé industriel ; eau pour laver le matériel de collecte, les poubelles et les camions.
Des surfaces bétonnées : pratiqué sur plateforme bétonnée, le compostage industriel et sa généralisation jouera, même de façon modérée, sur l’artificialisation des sols. Soit en créant de nouvelles surfaces bétonnées, soit en utilisant celles présentes qui pourraient accueillir d’autres usages.
A titre de comparaison, en compostage / lombricompostage de quartier ou en pied d’immeuble :
Ni eau, électricité ou béton ne sont nécessaires. Le matériel utilisé pour les composteurs, c’est du bois (notre région n’en manque pas), du métal pour la visserie et de l’outillage simple.
La maintenance hebdomadaire se fait à pied ou à vélo, par des salarié·es ou bénévoles habitant à proximité. Dans certaines zones moins denses, un véhicule léger peut s’avérer nécessaire pour une tournée de maintenance. Seule la collecte du compost mûr, 1/4 du poids initial, nécessite un transport tous les 4 à 6 mois, sauf quand le compost est utilisé sur place pour des projets d’agriculture urbaine.
Compostage et lombricompostage de proximité se font sur des surfaces perméables, sauf impossibilité formelle. Dans ce cas, on peut créer des installations hors sols, un peu moins performantes. La petite taille des installations permet d’utiliser des espaces inoccupés (pelouses, terre-pleins, friches). Il est même possible de dé-bitumer des morceaux de voirie, pratique courante pour installer des jardinières, pour accueillir les installations sans gêner d’autres usages et de participer modestement à la dés-artificialisation des sols de nos villes.
QUALITÉ DES COMPOSTS et IMPACTS SUR LES SOLS
Produire des composts, c’est bien, encore faut-il pouvoir s’en servir en agriculture…
Il y a un problème structurel de base dans le fait que seuls les services de gestion des déchets soient décisionnaires sur ce sujet : leur rôle est de gérer des flux, éventuellement de chercher à les réduire. En revanche, la qualité des composts est un sujet lié à l’agriculture, à la santé, à la biodiversité, et il semble que cela n’entre pas dans le « logiciel » des services déchets. Le problème, c’est que ces composts, produits à grande échelle de façon industrielle, vont finir dans les sols. Et si le travail est mal fait, les polluer durablement. Nous attirons particulièrement l’attention des acteurs de l’agriculture et de la protection de la nature sur ce sujet.
Les indésirables (plastique et compagnie)
Les quantités de plastique qui envahissent notre espace public en ville sont faramineuses. Pas un coin de nature, pas un espace vert, une jardinière, qui ne soit envahis par des restes de sacs et d’emballages, des masques, des bâtons de sucettes et j’en passe. Les composteurs, lombricomposteurs et bornes d’apports ne font malheureusement pas exception et sont pollués par des déchets non-organiques, qu’ils soient mis là de façon volontaire (canettes, paquets de chips et compagnie) ou involontaires (morceaux de scotch, élastiques, couteaux, sacs plastiques pseudo-compostables). Dans les composteurs de quartiers, il y a 2 moments où il est possible d’enlever les indésirables : d’abord lors de la maintenance effectuée par des bénévoles ou des salarié·es, où les bacs sont fouillés et les erreurs de tri enlevées manuellement. Cette tâche, pas la plus agréable certes, mais réalisée en extérieur et sur des petits volumes, est simplifiée en lombricompostage puisque les tas ne sont pas brassés ; les indésirables restent en surface et accessibles. Au moment de la récolte du produit mûr, les matières non organiques non dégradées par les vers et bactéries, comme le plastique, sont enlevées manuellement ou à l’aide d’un crible. Ce double contrôle influe fortement sur la quantité d’indésirables qui est très basse dans le produit fini.
Qu’en est-il pour la collecte ? Ces mêmes plastiques et autres indésirables se retrouvent recouverts dans les poubelles des bornes puis mélangés dans le camion de collecte. Ils vont être triés à l’usine : imaginez un lit de biodéchets en cours de putréfaction, c’est mou, gluant, puant. Il faut fouiller là-dedans à la recherche de petits élastiques et de morceaux de sacs plastiques à moitiés déchirés. Sympa, comme métier d’avenir, non ? Bien entendu, une fraction va rester dans les biodéchets. Une fois passés au “mixeur géant” nécessaire pour accélérer le compostage industriel ou la méthanisation, les résidus dispersés et déchiquetés seront impossibles à retirer. Le risque évident est d’accumuler les microplastiques dans les sols, et par ricochet dans les cours d’eaux et les nappes phréatiques.
Il ne faut pas s’étonner que les agriculteurs soient méfiants à l’encontre des compost urbains : ils ont déjà connu le problème avec les boues d’épurations souillées. Il ne faudra pas non plus s’étonner dans les prochaines années lorsque nous constaterons l’accumulation de plastiques venus des villes dans les sols agricoles.
La qualité des composts
Le premier souci de tout maître-composteur est le retour bénéfique des matières organiques à la terre, pour ramener nourriture et vie à des sols déséquilibrés et affamés par des décennies d’agriculture intensive. Chez Eisenia, chez nos camarades de Terrestris qui pratiquent en agricole et chez la majorité des acteurs du compostage citoyen, réunis au sein du Réseau Compost Citoyen, nous avons toujours mis ce principe en application, en travaillant autant avec les citadins qu’avec des paysans, pour produire du (vermi)compost de haute qualité. Nous participons d’ailleurs à un programme scientifique à moyen terme, le projet VALOR. Il est entre autres destiné à nous assurer du bienfait de notre méthode pour écarter tout risque de pollution et créer du vermicompost agronomiquement qualitatif.
Outre la quantité de plastiques et autres polluants liés au mode de collecte/traitement évoqué au paragraphe précédent, le compostage industriel fait appel à des techniques totalement hors-sol, mécanisées et se réalisant sur plateforme bétonnée. Sans rentrer dans les détails (nous y passerions des heures), seule une infime partie de la biodiversité des sols y est sollicitée : bactéries « thermophiles » et champignons. Le processus est donc appauvri à comparer des interactions participantes au cycle de la matière en milieu naturel. En compostage industriel, une grande partie de l’énergie disponible, et nécessaire pour nourrir la faune du sol, a été bêtement consommée et transformée en CO2 par les bactéries thermophiles, organismes qui disparaîtront au cours du processus, durant la phase de « chauffe » forcée. Tout l’inverse du vermicompostage et même du compostage collectif où une biodiversité extrêmement riche et variée se développe dans la matière et alentours. Cette biodiversité participe à la « trame brune » en ville et poursuivra son action bénéfique dans les sols.
Là où chaque composteur de quartier, s’il est bien géré, est un écosystème à part entière, le compostage industriel se contente d’être une « usine à matière ». Nous y retrouvons logiquement les mêmes défauts que dans l’agriculture intensive : mono-traitement, seule prise en considération du rendement à court terme, négation de la biodiversité, modèle économique insoutenable et dévastateur sur les plans humain et écologique.
IMPACTS SOCIAUX ET ECONOMIQUES
Surveiller des écosystèmes, travailler dans son quartier, fourche sur l’épaule ou trier des déchets en état de putréfaction dans des usines ? Favoriser les acteurs locaux ou enrichir encore les grands groupes ? Faites votre choix.
Des métiers à venir
A notre modeste échelle chez Eisenia (nous sommes 10 aujourd’hui), nous avons créé des métiers liés au compostage. Aurore, par exemple, passe une partie de ses semaines de lombricomposteurs en composteurs, à pied ou à vélo, la fourche d’un côté et une visseuse dans le sac de l’autre, elle assure la maintenance de nombreux sites en centre-ville. Elle observe, corrige, équilibre, aère, enlève les erreurs de tri. Un peu comme un facteur de village, sa présence sur le terrain permet de rencontrer beaucoup d’habitant·es, de faire de la prévention, d’inciter constamment de nouvelles personnes à utiliser les composteurs.
Toufik, éco-gardien, en fait de même à Givors, à pied et en bus, en parallèle de la gestion de jardins collectifs et d’actions liées à la propreté et au tri des déchets. Là encore, son contact avec les habitant·es est primordial et a fait « exploser » le nombre d’utilisateur·ices des lombricomposteurs installés.
D’autres fonctions et postes sont à créer : animateur, collecteur de compost « mûrs », installateur / fabriquant de (lombri)composteurs,… Des métiers assez peu hiérarchisés, accessibles à toutes et tous, nécessitant peu de connaissances initiales, accessibles via des formations guides / maîtres composteurs. Des métiers que l’on peut exercer dans sa ville, dans son quartier, sans passer des heures dans les transports et les embouteillages. Un modèle testé depuis quelques années, fonctionnel et facilement réplicable sur les territoires. Enfin, cette gestion permet de laisser les (lombri)composteurs accessibles plus facilement au public, sans permanence à heures fixes limitatives.
Nous formons en ce moment une trentaine de guides ou maîtres-composteurs par an. Des gens de tous âges et origines sociales, beaucoup de personnes en reconversion professionnelle, des gens passionnantes qui cherchent un travail ayant du sens. Si la Métropole confirme l’abandon du compostage partagé comme semble l’annoncer M. Bernard dans « Les Echos », ces formations n’auront plus de raisons d’être : le permis poids-lourd, un diplôme de technicien de maintenance ou de commerce seront requis pour travailler dans le compostage.
Car en effet, la collecte et le compostage industriel vont aussi créer des métiers : au bas de l’échelle des rippers derrière le camion et des agents de tri de matières fermentées en usine, au milieu des chauffeurs poids-lourd, des techniciens de maintenance et conducteurs d’engin et en haut de la pile des sous-chefs, commerciaux et chefs. Et pour le côté prévention, des étudiants embauchés pour faire du porte à porte par des boîtes spécialisées… dans la communication (mais pas dans le compostage).
Le choix des acteurs
Jusqu’ici, le compostage des biodéchets urbains n’intéressait que des structures locales, engagées écologiquement et/ou socialement. Ces structures dont nous faisons partie disposent d’une avance technique, liée à l’intérêt porté au sujet et non à des motivations pécuniaires. Nous aimons faire du compost, nous savons faire du compost, nous sommes constamment sur le terrain, pour tester et améliorer notre façon de faire. Nous craignons plus que tout de faire des erreurs ayant des impacts environnementaux négatifs. Depuis trois/quatre ans, nous voyons de nouvelles structures, type start-up, s’intéresser au sujet, ainsi que les mastodontes du déchet qui ont bien saisi l’intérêt financier et le green-washing en bonus qu’allait représenter le « marché » des biodéchets.
Mais de là à penser qu’une majorité Gauche/Écologiste allait leur “refiler” le bébé, le beurre et l’argent d’UBER aussi facilement, on est quand même un peu soufflé·es… Surtout après avoir applaudi l’annonce, faite en début de mandat pour reprendre la gestion de l’eau en régie publique, ou encore le refus de mécénat du groupe Total sur la culture. Sortir Veolia de la gestion de l’eau pour offrir les biodéchets à Suez, où est la cohérence?
Car oui, le choix de la collecte n’est pas anodin. Il y a eu un appel d’offre, pourquoi n’y avons-nous pas répondu ? Bien évidemment, des structures comme les nôtres ne vont pas investir d’un coup dans des camions de collecte, des centaines de bornes en métal ou des plateformes industrielles. Même si nous en avions les moyens, nous n’en voyons pas l’intérêt et notre éthique nous en empêcherait. De fait, les marchés sont biaisés (et nous avec, si on enlève un « i »). Hold-up parfait. Et comme apparemment les plateformes de compostage nouvellement créées ont l’air d’avoir un peu de mal à suivre, il ne serait pas étonnant que la méthanisation industrielle et ses acteurs les plus vertueux, GRDF en tête, soient en train de placer leurs billes pour sauver nos biodéchets…
Pour quel coût ?
Nous ne disposons que des informations données au compte-goutte dans les articles concernant le coût de la mesure. Il semblerait en tout cas que l’investissement (12 millions d’euros dans les 2 ans) serait amorti grâce à une grosse participation de l’ADEME. Si tout ne sera donc pas ponctionné dans les impôts des grand-lyonnais, on reste sur l’argent public donné massivement à quelques acteurs. Et surtout, cette aide concerne l’investissement. Quel sera le coût de fonctionnement de ce système sur les prochaines années ? Ne sommes-nous pas en train de nous mettre des menottes aux poignets ? Il faudra toujours payer, camions, carburant, maintenance et intermédiaires, PDG et actionnaires des acteurs choisis… Bruno Bernard le dit d’ailleurs mieux que nous dans les colonnes du dernier MET (le magazine de la Métropole), à propos de la régie publique de l’eau : « contrairement aux entreprises privées, la régie ne versera pas d’argent à des actionnaires et pourra investir massivement dans l’entretien du réseau ». Et oui, filer du pognon à une multinationale, on en sort rarement gagnant. Tout l’inverse de nos structures, légères et transparentes, où l’argent gagné finance les salaires de celleux qui font le boulot et l’investissement matériel, sans passer par la case filiales, sous-traitants, dividendes, paradis fiscaux, parachutes dorés.
Pour revenir à des choses plus terre-à-terre, côté Eisenia, nous avons écrit notre modèle, y compris économique, dans le plan B. Même si ce modèle reste à affiner, l’essentiel y est, basé sur une expérience de terrain réelle. Fonctionnement simple, multiplication de petites installations low-tech gérées localement (mais professionnellement) = pas de surprises, pas de coûts cachés, pas de pannes d’installations trop sophistiquées, pas de pénurie de matériel de pointe risquant de mettre en péril nos lombricomposteurs : du salariat, des matériaux simples et locaux, des véhicules utilitaires et du matériel agricole basique, et un gros coup de main de la biodiversité. Ce modèle, nous le réfléchissons et le maturons depuis 10 ans. Il existe, à une échelle bien trop petite depuis au moins 7 ou 8 ans et ne demande qu’à être développé mais n’a jusqu’ici jamais été étudié, ni même visité par l’exécutif métropolitain. On se permet au passage de relancer notre invitation, on est toujours preneurs pour aider notre collectivité à progresser.
AU FINAL, UN CHOIX DE MODÈLE DE SOCIÉTÉ ?
Nous n’avons pas la grosse tête, nous savons bien que le choix du mode de traitement des biodéchets ne va pas révolutionner notre société… Pour autant, compostage industriel / compostage citoyen, agriculture intensive / agriculture biologique, les mêmes schémas, les mêmes antagonismes, le même gouffre entre deux choix de sociétés à venir. En allant plus loin, notre combat est proche de celui opposant les librairies indépendantes à Amazon, les artisans aux grandes surfaces, une orientation raisonnable vers un futur encore enviable ou une société hors-réalité qui file dans le mur. Concernant les biodéchets, le choix est possible, il est à faire ici et maintenant. Ce ne sont pas Macron, Jeff Bezos ou l’ONU qui décident mais bien nous et surtout nos élu·es locaux.
Loin des yeux, loin du cœur
Ce n’est pas nous qui l’inventons, ce sont des concepts évidents, connus en psychologie sociale et confirmés par les acteurs de terrain ; tout comme il est plus facile de changer de téléphone portable tous les 6 mois quand nous nous cachons les réalités de notre achat (au hasard : exploitation des enfants, esclavagisme, destructions écologiques majeures,…), il est également plus simple de jeter des quantités phénoménales de déchets quand ceux-ci sont exportés et traités loin des yeux, loin du cœur.
La collecte de biodéchets, comme celle des déchets, nous dédouane complètement des conséquences de nos actes de consommation. Les déchets sont exportés, soit à l’extérieur, soit localement, systématiquement dans les coins les moins aisés de la métropole d’ailleurs (Rillieux ou Gerland pour l’incinération, Chassieu pour le tri, Vénissieux entre autres pour les biodéchets). Seul·es les habitant·es à proximité des sites sont bien conscient·es, elleux, de l’impact et des désagréments liés au traitement du déchet.
Les bornes à biodéchets (ou PAV) participent à cette logique. Jetons-y nos fruits à peine gâtés, nos restes de repas livrés par Uber Eats et nos steaks achetés en surnombre à cause d’une promo, de toutes façons, c’est bon pour la planète, y parait qu’on fait du compost avec…
A contrario, l’installation de composteurs de quartier amène forcément un questionnement. Il y a des consignes, certes un peu restrictives (il s’agit de faire fonctionner un milieu vivant) mais obéissant à une logique de traitement, à un impact direct de ce que l’on jette sur ce que l’on peut en produire. Cette « conscientisation », que seul le traitement sur place peut amener, ouvre souvent la voie vers une logique de réduction, voire de zéro-déchet. Et des personnes chargées de la maintenance, que l’on voit régulièrement, sont aussi là pour faire de la prévention, à la différence du ripper chargé de mettre les poubelles dans le camion de collecte, sans aucun contact avec les habitant·es. Donc s’il l’on vise le long terme, le changement des consciences et des habitudes, on va sacrément gagner du temps quitte à en perdre au démarrage.
Il y aurait encore tant d’autres arguments à dérouler… En espérant que ce texte, notre action et celles de nos camarades permettront de ré-évaluer les choses et d’éviter à notre territoire de faire une belle co–erie qu’on paiera les 20 prochaines années… Chaque biodéchet resté à sa place, chaque composteur / lombricomposteur installé à la place d’une borne en métal et chaque emploi de guide ou maître (lombri)composteur créé sera une petite victoire en soi, mais on va viser plus haut que ça. D’autant plus que le territoire peut s’appuyer sur un sacré vivier d’acteur·ices engagé·es et motivé·es.
ASSOCIATION EISENIA